« Négliger les choses religieuses du XVIIe siècle ou les estimer petitement, c’est ne pas comprendre l’histoire de ce siècle, c’est ne pas le sentir »
Ernest Lavisse
Comme le dit très justement Anne Foster dans son article de la Gazette de Drouot du 10 mai 2019, Judith et Holopherne, c’est l’allégorie de la foi ! l’allégorie de cette foi guerrière et vibrante qui anime les contemporains et l’entourage de Michel-Ange de Caravage à la fin du XVIème, et tout au long du XVIIème siècle.La scène représentée par le peintre est tirée de l’un des sept livres deutérocanoniques que le concile de Trente (1545-1563), a intégré dans ses canons, contrairement aux juifs et aux protestants.
Mais pourquoi Diable ? et dans quel but ?
La réponse coule de source, elle est comprise dans l’objectif même de cette réunion de tous les évêques catholiques qui selon l’abbé Charles Gril s’étaient donné pour mission « d’extirper les hérésies, de rétablir la paix dans l’Église, et de délivrer les pays chrétiens soumis au joug des infidèles ». En somme il s’agissait de réaffirmer les dogmes fondateurs dont, la préséance du Pape à la tête de la hiérarchie, et celui de la grâce divine.
En ce sens le livre de Judith, même si le récit, s’éloigne étrangement de la réalité historique, délivre un message limpide dans lequel le général Holopherne incarne tout à la fois, l’oppresseur, le mal, l’hérésie, les infidèles, quant à Judith, l’héroïne de la scène, elle représente à elle seule l’Église et l’assemblée des Chrétiens qui coupent de concert la tête du schisme protestant.
Sa beauté, sa foi si forte, si confiante, renvoient au thème de la grâce salvatrice de Dieu et à la victoire de la lumière sur l’ombre. En somme la représentation de Judith et Holopherne est une sorte de manifeste, de catéchisme illustré de la Contre-Réforme.
Toulouse enclave ultra-catholique en pays protestant avait subi de plein fouet les guerres de religion. Le cardinal de Joyeuse, archevêque de la ville, flanqué de son dataire, Paul Catel, en mission constante auprès du pape Paul V, fut également le fer de lance de la Contre-Réforme dans le Languedoc, en effet, Estelle Martinazzo rappelle dans sa thèse qu’il décida de la réunion d’un concile régional (1588-1605), à la suite de quoi il fit publier « Les fondements du Concile de Trente (…) par le biais des canons du concile provincial ».
Longtemps, longtemps, les toulousains ont été interpellé par tous les bouleversements dogmatiques qui en découlèrent, la preuve se trouve au fil des archives, dans la description des ouvrages contenus dans les bibliothèques des personnes cultivées du début du XVIIIème siècle: l’histoire du Languedoc par Guillaume Catel l’Histoire de Toulouse de Lafaille et les Annales du concile de Trente sont alignées côte à côte en 1706 sur les rayonnages d’Étienne Belot, ancien Capitoul.
Ce thème agite encore au début du XIXème siècle l’érudit abbé Jamme (1766-1843), qui choisit, « La chute de Babylone » comme sujet d’intronisation à l’Académie des Sciences Inscriptions et Belles Lettres de Toulouse – société savante réputée regrouper les plus belles intelligences du temps- Il nous plonge au fil des pages, au VIème siècle avant Jésus-Christ, dans la sombre histoire oubliée de tous, du dernier roi des Chaldéens, Balthasar, fils du grand Nabuchodonosor, bref… il nous immerge dans le contexte de l’histoire du livre de Judith. Ce mémoire très savant, est qualifié par ses confrères académiciens « d’excellent pour la chronologie des Assyriens et des Perses ». Rien d’étonnant à cela, l’abbé Jamme était passionné par le sujet, il s’était porté acquéreur lors d’une vente aux enchères toulousaine en l’an 9 de la République d’un tableau intitulé Judik coupant la tête d’Holopherne, que l’on retrouve probablement dans son inventaire après décès en 1843 au n°1217 sous la description laconique suivante : « un tableau représentant la tête d’Holopherne peint sur toile prisé 10 francs ».
Par ailleurs et pour refaire le lien avec la réforme du concile de Trente le priseur décrit dans le même inventaire après-décès, extrêmement copieux, il faut le souligner, un tableau peint sur toile représentant Saint Charles Borromée donnant la communion aux pestiférés de Milan ; (n°771), les instructions de Charles Borromée, (n°902), La vie de Saint Charles Borromée (n°904), des émaux dont l’un d’entre eux représente Saint Charles Borromée faisant amende honorable (n°1116).
Pour rappel, Charles Borromée (1538-1584) est considéré comme un modèle d’évêque post-tridentin qui œuvra si bien pour faire appliquer la réforme catholique dans son diocèse, qu’il fut canonisé en 1610 par Paul V.
Véronique Dumont Castagné, Historienne d’art.
Michel Ange de Caravage, Judith et Holopherne, vente du tableau à Toulouse 27 Juin 2019, Marc Labarbe commissaire priseur, Halle aux grains.