A l’occasion d’un séjour en Andalousie, j’ai eu le bonheur de lire en version espagnole le petit livre du père dominicain français, Jean Baptiste Labat : « Viaje por Andalucía (1705-1706) en los años 1705 y 1706 » conservé à la bibliothèque de Cadix en Espagne. Celui-ci, selon Inmaculada Tamarit Vallès, fut envoyé par sa congrégation en 1693, en mission aux Antilles. En 1705 le pape lui ordonne son retour à Rome afin de recruter un plus grand nombre de missionnaires, son bateau fait alors escale à Cadix, là, le blocus du détroit de Gilbratar l’oblige à séjourner dans la région bon gré mal gré. Il s’aventure alors jusqu’à Séville. Cette étape involontaire nous vaut le récit piquant et critique de certaines moeurs espagnoles dont celles qui concernent les usages vestimentaires féminins en vigueur au tout début du XVIIIè siècle.Ce qui
entraine Carminella Biondi à penser et à écrire que les femmes étaient à ce moment là de l’histoire « altri paria della società del tempo ». (Biondi, 1987 : 21-22).
Le dominicain admis dans le milieu bourgeois de la ville les décrit comme nonchalantes, installées tout le jour sur des estrades jonchées de coussins. Leurs saluts consistent en inclinaisons du corps et de la tête à la façon des religieuses françaises, plus ou moins importants selon la personne qu’elles veulent honorer. Sur leurs têtes découvertes, les cheveux sont séparés d’un côté, attachés par derrière et ornés de dentelles, en revanche elles prennent soin de garder leurs pieds bien couverts et cachés. Elles portent plusieurs jupes, sept ou huit et souvent même plus, l’une d’elle est essentielle, elles l’appellent « protège-pieds » c’est la dernière, celle du dessus, toujours coupée trop longue de quatre ou cinq pouces et qui présente un pli (horizontal) de trois ou quatre doigts au milieu de la hauteur, de manière à pouvoir l’allonger lorsque l’ourlet est usé. « Les carmelites originaires d’Espagne en portent une semblable pour les mêmes raisons ».
Jean Baptiste Labat poursuit en précisant qu’il ne s’agit là que d’une coutume car les femmes espagnoles ne sont pas plus économes que les autres, pour preuve elles achètent de nouvelles jupes pour remplacer celles qui sont abîmées, en effet il n’a jamais pu voir une jupe sans pli ce qu’il aurait du pouvoir constater, à moins rajoute-t-il qu’elles ne cousent des faux plis pour faire croire qu’il s’agit d’une pièce neuve! il relève encore une autre étrange habitude qui consiste, lorsque les dames sortent dans la rue, à ne jamais relever leur robe, car il est plus décent de la faire trainer dans la boue et les immondices plutôt que de laisser voir la pointe de ses pieds, parce que dans ce pays, une femme qui montre ses pieds à un homme lui signifie qu’elle est prête à lui concéder ses faveurs ! cette règle continue le père Labat, s’étend également aux religieux.
Enfin il décrit des chaussures de dames très étonnantes et inconnues de lui, faites en « tafilete » (cuir lustré très fin) découpé dans tous les sens de petits losanges, et qui par conséquent s’adaptaient aux pieds bien plus facilement que des chaussures en cuir raide et solide, elles convenaient donc parfaitement aux dames ayant déjà eu plusieurs enfants!
Traduction et adaptation Véronique Dumont Castagné
Séville, octobre 2021.
Le tableau des » Ménines » de Diego Vélazques, Madrid 1656, montre que la mode des plis sur les jupes était en usage dans la capitale espagnole au moins dès le milieu du XVIIè siècle.